Revenons tout d’abord aux fondamentaux : une stratégie est un plan d’action visant à atteindre un objectif prédéfini, en modulant le mieux possible les moyens pour maximiser le résultat, tout en évitant que se réalisent les risques qui pourraient empêcher la réalisation de l’objectif.
Qu’entend-on alors par stratégie de sortie de confinement ? Si l’objectif est de sortir de confinement, pas besoin de stratégie : il suffit de lever les mesures de confinement ! Il est donc évident que d’autres objectifs sont visés, et là, nous sommes dans le flou total.
Gestion de crise, vraiment ?
Revenons à nouveau aux fondamentaux en parlant de stratégie de gestion de crise. Elle doit répondre à un objectif de résultat. Comme personne ne peut prévoir au moment du constat de crise quelle va être l’ampleur ou le déroulement d’une crise, la stratégie doit donc : être agile, rester focalisée sur l’objectif, évaluer la progression vers celui-ci et l’évolution de la situation, et s’adapter constamment à l’évolution des nouvelles connaissances.
Or, des nouvelles connaissances, entre début 2020 et aujourd’hui, nous en avons accumulé beaucoup. Nonobstant, le gouvernement s’est contenté de répéter les mêmes mesures, sans ajustement du risque résiduel, et surtout sans jamais prendre le temps de démontrer a posteriori la réalité du ratio bénéfices/risques.
Bref, les risques de l’épidémie sont toujours maximisés, les risques des mesures toujours minimisés voire niés, et le bilan jamais réalisé. On ne peut que constater que les personnes qui gèrent la crise… ne sont pas formées à la gestion de crise. Et ça, c’est un problème fondamental.
Les évidentes contradictions internationales auxquelles tout le monde avait accès grâce à la mondialisation de l’information, ont décrédibilisé la gestion de la crise, tant au niveau mondial que national. Nier l’aspect « empirique » de chaque stratégie a renforcé le sentiment de méfiance et alimenté les théories du complot. Or, la confiance est un élément crucial dans la communication de crise et il vaut mieux paraître humble que malhonnête.
Une solution décidée d’avance
Un autre problème, c’est d’avoir choisi a priori la solution à la résolution de la crise ! Souvenez-vous : dès le début de la crise en 2020, les vaccins ont été présentés par l’OMS d’abord, et par les différents gouvernements ensuite, comme l’unique perspective permettant d’espérer une fin de crise. Et ceci avant même qu’on sache de quelle crise on parlait, ni si elle serait terminée avant que les vaccins arrivent !
L’OMS argumente, sur son site web[1], que seule l’immunité d’une part importante de la population met fin à une épidémie. Il n’est bien sûr pas éthique de viser l’atteinte de cette immunité sans tenter d’épargner autant de victimes de la maladie que possible. Dans cette perspective, la vaccination peut certes s’intégrer à un plan… mais elle ne devrait pas être le plan.
Des objectifs flous et changeants
En cas d’émergence d’un nouveau virus, l’objectif naturel est de limiter les dégâts pendant la période entre l’émergence et l’endémie. On peut difficilement faire mieux. Mais « limiter les dégâts » est un objectif flou. Il est nécessaire de le définir avec précision.
Or, depuis début 2020 en Belgique, le discours ne cesse de changer pour s’éloigner de plus en plus de l’objectif initial : cela a commencé avec « éviter de grossir le bilan des victimes en ajoutant aux victimes du virus celles d’autres pathologies qui entreraient en concurrence à l’hôpital »[2], puis « éviter les décès Covid »[3], quitte à reporter la prise en charge des autres pathologies, parfois avec de graves conséquences[4], puis « éviter les hospitalisations Covid à tout prix »[5], « éviter un reconfinement à tout prix »[6], « éviter les contaminations Covid à tout prix »[7], puis « assurer la vaccination Covid à tout prix pour éliminer ce virus »[8]… Quel sera le prochain ?
Comme le miracle vaccinal n’en est pas un, les discours évoluent et reculent toujours plus loin la perspective d’une fin. Mais une fin de quoi, au fait ? C’est impossible à dire puisqu’on ne sait pas quel objectif nous poursuivons réellement.
Hypothèse de départ irréaliste
Derrière la position initiale du « vaccin comme unique issue pour sortir de la crise » se cache une hypothèse irréaliste : être capable de ralentir ou empêcher indéfiniment la circulation du virus. On voit bien qu’aucun pays n’y arrive réellement[9], que les moyens sont inégaux et que l’évolution du virus doit nécessairement s’envisager au niveau mondial.
Dès le départ, il était évident que cette hypothèse était hors de portée. Alors pourquoi partir d’une hypothèse irréaliste pour figer une solution unique à la résolution d’une épidémie ? Car si le virus circule, l’épidémie peut s’éteindre avant que les vaccins ne soient disponibles : c’est ce que l’Homme a toujours vécu[10] !
Ainsi, comment peut-on avoir conditionné, au début d’une crise dont la portée était encore indéterminée et les possibilités d’évolution presque infinies, la vie de milliards de personnes à une solution hypothétique qui pouvait ne jamais se réaliser ?
Des risques négligés
Cette orientation initiale erronée a, sans aucun doute, privé de moyens les autres dimensions de la politique de santé publique : prévention, renforcement, prise en charge médicale et traitement[11]. Ceux qui gèrent la crise ont ainsi pris le risque de passer à côté d’opportunités de réduire les effets de l’infection pour toutes les personnes qui s’y trouveraient forcément confrontées.
La décision préalable d’une vaccination de masse a conduit à négliger l’énorme disparité du risque de la maladie en fonction des sous-populations. Conséquence : on a négligé des solutions efficaces mais peut-être plus coûteuses. Rentables lorsqu’elles sont ciblées sur une population réduite, elles deviennent généralement impayables pour une application générale. Ainsi notre pays a investi massivement dans des solutions d’efficacité moyenne à médiocre (voire contre-productives), imposées sans distinction à toute la population. Les personnes à haut risque n’ont pas été épargnées. Les personnes à faible risque ont inutilement subi les impacts. Le résultat est le reflet des moyens : peu convaincant.
S’obstiner dans une telle approche dogmatique de la gestion de crise génère inévitablement des risques[12]. Leur négligence a eu pour conséquence différents problèmes secondaires qui varient selon les situations locales, tels que l’aggravation de certaines pathologies, l’augmentation des décès d’autres causes, la malnutrition, la pauvreté, la détresse psychologique, une crise économique/sociale/politique, etc. De nombreuses publications ont évalué les conséquences en cascade pour d’autres épidémies. Et les conclusions de ces études devraient bien plus nous inquiéter que l’épidémie de covid ou la faible couverture vaccinale anticovid à l’entrée de l’été 2021 !
Bref, une gestion de crise dogmatique
Il fallait au contraire peser les options en considérant le bilan de ce qui avait été réalisé et les risques les plus probables - le plus probable étant une recrudescence à l’automne, pour un virus dont le caractère saisonnier est hautement probable.
Il semble que notre gouvernement a décidé, pour plus de 11 millions de personnes, de tout sacrifier (les aînés, les enfants, les travailleurs, le personnel soignant, les principes démocratiques, la santé mentale et physique, la joie et l’espoir) pour suivre une feuille de route définie depuis un an.
Cette stratégie très risquée repose en fait sur des hypothèses non vérifiées au départ. Certaines étaient d’ailleurs hautement improbables sur base des connaissances disponibles… et une bonne partie ne se vérifient d’ailleurs pas.
Ceci n’est pas de la science
La seule conclusion raisonnable des débats actuels est simple : en fait personne ne sait et tout le monde défend une théorie qu’il est incapable de démontrer ! Certains le font avec justesse en mettant en évidence des faits contradictoires. D’autres semblent avoir choisi de défendre une théorie comme si elle était démontrée, négligeant les faits contradictoires. C’est très interpellant, parce que les discours de grands scientifiques ont largement dévié des principes fondamentaux de la science.
Le principe du consensus, cher aux médias, n’a pas sa place en science. La vérité scientifique ne repose pas sur le nombre d’adhérents, mais sur des faits qui permettent de démontrer une théorie (ou de l’éliminer). La science ne devrait pas se mêler de politique[13]. On n’établit pas une vérité scientifique par un vote à la majorité.
Faire le bilan
Les décisions politiques doivent intégrer les connaissances dans différents domaines : l’épidémie n’est pas le seul fait à prendre en compte, la vaccination non plus, et les effets positifs et négatifs doivent être équilibrés. Il est parfaitement normal que les politiques décident parfois de ne pas suivre telle recommandation de telle expertise, parce que les impacts négatifs peuvent être supérieurs aux bénéfices au niveau global ou parce que la recommandation est impossible à mettre en œuvre pour diverses raisons.
Idéalement, ces décisions devraient reposer sur une évaluation objective de l’état des connaissances des différentes disciplines relatives aux différentes dimensions de la société. Pas sur des théories, mais sur les faits et la mise en perspective des incertitudes associées aux faits manquants. Est-ce la façon dont le comité d’expert a travaillé ? Pas si sûr... Ils ont largement favorisé certaines théories aux dépens d’autres. Et certains se sont permis de critiquer les décisions politiques en restant focalisés sur leur vision réductrice d’une situation systémique complexe[14].
Nous aimerions croire que nous n’avons pas subi tout ce que nous avons subi jusqu’ici pour rien et que ces vaccins qu’on nous a fait tant espérer vont sauver tout le monde. Le risque est de nier les défauts des stratégies appliquées par peur des conclusions d’un exercice rétrospectif. Il est pourtant essentiel pour assurer que les décisions d’aujourd’hui sont les meilleures pour demain – car le passé est passé, et nous ne pouvons pas le changer. Bref, on ne devrait pas gérer l’avenir d’un pays, d’un continent, du monde, en évitant de se confronter à des faits parce qu’on a peur de ce qu’ils pourraient nous révéler.
Evaluer toutes les hypothèses
Nous avons surtout intérêt à rapidement et sérieusement considérer toutes les théories, et chercher des faits probants qui permettraient de lever au plus vite le doute. Et il n’y a pas de pire approche que celle qu’on pratique depuis plus d’un an : décrédibiliser sans preuve une théorie parce qu’elle n’a pas le soutien de la majorité. Avec des raisonnements pareils, nous croirions encore que la terre est au centre de l’univers.
Puisque de toute façon nous n’avons pas la capacité de vacciner toute la population mondiale avant plusieurs mois, il semble essentiel de rapidement tester et vérifier les hypothèses alternatives, afin de positionner la vaccination de façon raisonnée dans une stratégie globale, qui ne soit pas simplement d’espérer que tout finira par s’arranger, avec ou sans nous. Car sans intervention humaine, l’issue peut s’imaginer…mais avec, cela peut devenir beaucoup plus compliqué et aléatoire. L’enfer, ce n’est pas toujours les autres.
Par Caroline Vandermeeren et Sandra Ferretti
[6] https://www.rtl.be/info/magazine/c-est-pas-tous-les-jours-dimanche/reconfinement-1254121.aspx
[7] https://www.rixensart.be/coronavirus-covid-19-des-mesures-de-precautions-pour-eviter-la-propagation/
[9] https://ourworldindata.org/explorers/coronavirus-data-explorer
[11] Nous y reviendrons dans les articles suivants
[12] Tribune de mai 2020 https://www.levif.be/actualite/belgique/il-est-temps-de-choisir-l-avenir-que-nous-souhaitons/article-opinion-1284333.html
[13] Carte blanche d’avril https://www.levif.be/actualite/belgique/ce-n-est-pas-aux-scientifiques-de-plier-leurs-conclusions-aux-besoins-des-politiques/article-opinion-1279705.html
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