Comment comprendre cette élection ? Comme beaucoup en Europe, certains parmi nous ont été surpris en découvrant la réélection de Trump pour un nouveau mandat mercredi passé. À l’heure de l’information instantanée, comment expliquer que tant parmi nous, tant d’Européens, aient pu développer une image aussi fausse de ce qui se passait de l’autre côté de l’Atlantique ? D’où provient ce décalage ? Les médias européens, censés informer le débat démocratique, jouent‑ils leur rôle ? Et si non, quelle leçon en tirer ?
Une élection qui en a surpris plus d’un
Mercredi matin, alors que les États américains annonçaient les uns après les autres leurs résultats, la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle ne fit bientôt plus aucun doute. Ce n’est pas une victoire, c’est une triomphe : le camp républicain, poussé par Donald Trump mais aussi Elon Musk et Robert F. Kennedy Jr., a remporté tout ce qui pouvait l’être. La Maison Blanche, le Sénat, la Chambre, la majorité des gouverneurs. Les grands électeurs, le vote populaire, tout.
Le camp républicain a progressé partout, même dans les bastions démocrates comme la Californie, et n’a reculé nulle part, n’ayant pas perdu le moindre comté gagné lors de la présidentielle de 2020. Pourtant, si l’on s’en était tenu aux analyses et commentaires des médias et politiques européens au cours des semaines et mois précédents, il aurait été difficile de prédire un tel résultat, c’est le moins qu’on puisse dire. Alors que s’est‑il passé ?
Les médias européens ne rapportent pas les faits
Il faut se rendre à l’évidence. La présentation qui nous est proposée des faits par nos médias et responsables politiques semble pour le moins biaisée, et donc malheureusement fausse. Nous vous proposons une traduction de quelques passages d’un article paru sur le très utile site politique américain Realclearpolitics.com[1], un média non‑partisan qui publie des articles écrits par les tenants des deux camps aux États‑Unis, ce qui permet donc de les comparer d’une façon assez pratique et de se faire sa propre opinion.
Cet article résume bien la lecture des faits qui se révèle être majoritaire actuellement aux États‑Unis, puisqu’elle vient de gagner les élections de façon triomphale. Une description de la réalité américaine pourtant très différente de celle qui peut transparaître dans les médias européens, qui ne rapporteront jamais ce type d’analyse :
« Pourquoi [Donald Trump a‑t-il gagné] ? Trump a été un meilleur président que Joe Biden et un meilleur candidat que Kamala Harris. Les Américains ordinaires ont mené des vies manifestement plus prospères sous Trump que sous Biden. Et Trump est visiblement plus authentique, accessible, charmant, intelligent, convaincant, perspicace, intuitif et amusant que Harris. Trump l'a emporté tant sur le plan politique que sur celui de la personnalité.
La démocratie a prévalu ; le peuple a eu gain de cause malgré tout ce qui a été fait et dit pour l’empêcher. Trump a gagné bien que presque toutes les institutions des États‑Unis - les médias, le monde universitaire et les grandes entreprises également - non seulement s'opposaient à lui, mais s'y opposaient de façon virulente, le comparant à Hitler et avertissant que son élection signifierait la fin même de la démocratie."
L’article continue ainsi :
"Oh, et les stars du cinéma et du rock aussi. Harrison Ford nous a dit avec émotion ce week‑end qu'il avait voté pour Kamala Harris et Tim Walz. (…) C’était un plaidoyer passionné, mais il n'a pas eu d'effet car la plupart d'entre nous ne sommes pas nés de la dernière pluie. (…) [Pour nous] ce n'était qu'un mensonge magnifiquement narré.
C'était un appel à faire confiance aux procureurs et aux juges qui ont cyniquement utilisé les tribunaux comme une arme partisane tout en clamant leur fidélité à "l'état de droit". À croire les bureaucrates gouvernementaux qui ont fait taire ceux qui osaient questionner les origines et les effets du Covid (…). À ignorer la malhonnêteté des responsables de la sécurité nationale qui avaient affirmé que l'ordinateur portable de Hunter Biden était faux alors qu'ils savaient que ce n'était pas le cas. (…)
Et il enchaîne :
Ainsi, la victoire de Donald Trump est plus qu'une épique histoire de succès personnel et politique, c'est un vote de "défiance" envers les institutions et la gouvernance par des experts qui prétendent faire autorité. Les institutions échouent lorsqu'elles ne se concentrent pas sur leur mission principale (…)
Voici certains parmi les exemples qu’il donne:
Lors de son premier voyage à l'étranger en tant que président, Joe Biden s'est adressé aux troupes américaines stationnées en Angleterre. (…) 'Ce n'est pas une blague : vous savez ce que les chefs d'état‑major nous ont dit être la plus grande menace pour les États‑Unis? Le réchauffement climatique.'
Malgré le démenti, cela ressemblait exactement à une 'blague'. Ou plutôt, à une parodie d'excès libéral. (…)
Ou encore ceux‑ci :
De même, presque toutes les institutions gouvernementales se concentrent désormais sur des questions marginales ou des modes progressistes plutôt que sur leurs missions fondamentales. Les procureurs promeuvent 'l'équité' au lieu d'emprisonner les criminels. (…)
Et ce ne sont pas seulement les institutions gouvernementales qui ont perdu leur chemin. La mission principale des médias est censée être de délivrer des nouvelles, pas de construire des récits partisans et à moitié vrais dans l'intention d'influencer les élections. Pensez aux scènes mémorables de 2020 [lors des émeutes BLM] où les journalistes des chaînes d'information décrivaient des 'manifestations majoritairement pacifiques' pendant que des incendies ravageaient des bâtiments derrière eux.
Les institutions commerciales autrefois vénérables ne se concentrent pas non plus sur leurs missions principales. [Elles font] la leçon aux consommateurs au lieu de les servir. (…) Placer des commissaires politiques dans les directions générales détourne l'attention de la mission principale des entreprises, crée des divisions au sein de la main‑d'œuvre et aliène les consommateurs. (…)
Et enfin à propos de la crise Covid:
Tout comme les institutions gouvernementales, médiatiques et commerciales ont été dégradées par leur politisation, les 'experts' publics l'ont été aussi. Socrate, peut-être le plus grand expert en matière de connaissance, observait que la seule vraie sagesse réside dans le fait de savoir qu'on ne sait rien. Il refusait d'utiliser son expertise de manière autoritaire, mais l'utilisait plutôt pour donner aux autres les moyens de réfléchir aux problèmes.
Bien que peu d'électeurs lisent Socrate aujourd'hui, presque tout le monde sait que les experts ne sont pas toujours d'accord. C'est pourquoi lorsque nous rencontrons des problèmes difficiles ou coûteux, nous cherchons un deuxième avis. Qu'il s'agisse de réparation automobile ou de chirurgie du cerveau, nous savons qu'il est sensé d'obtenir un deuxième, et parfois un troisième avis. Pourquoi ? Les experts ont des perspectives et des motivations différentes. Souvent, il n'y a pas qu'une seule réponse. Nous pouvons finalement nous fier au jugement d'un expert, mais pas sans utiliser leur expertise pour comprendre le problème afin de prendre nous‑mêmes une meilleure décision.
Les experts publics ont tendance à être plus autoritaires et moins consultatifs, ce qui mine la confiance dans les experts en général. Par exemple, le Dr. Anthony Fauci et l'équipe d'experts gouvernementaux ont utilisé leur statut 'd'expert' de manière autoritaire et politique, cherchant à dominer les autres au lieu de les responsabiliser pour qu'ils décident par eux‑mêmes. Ils ont induit le public en erreur sur l'origine du Covid, l'efficacité des masques, et la sécurité et l'efficacité des vaccins. S'assimilant lui‑même à 'la science', Fauci a cherché à faire taire les critiques, à étouffer les questionnements, et à priver les gens de leur capacité à prendre des décisions pleinement éclairées. Ce manque de modestie socratique a conduit des millions de personnes à perdre confiance en tous les experts publics qui se comportent de manière similairement autoritaire.
Il conclut ainsi:
Ainsi, dans un monde où tant de choses vont mal, élire le gars qui rend fous tous ces pontifes prévaricateurs a tout simplement du sens. Une majorité active du peuple américain était convaincue que, malgré (ou peut-être à cause de) toute la haine qu'ils attirent, Donald Trump et sa joyeuse bande de critiques audacieux - y compris les anciens membres du Parti Démocrate Robert F. Kennedy Jr., Elon Musk et Tulsi Gabbard - sont le meilleur pari pour purger le système afin de rendre sa grandeur à l’Amérique.
Cette description de la situation aux États‑Unis vous surprend sans doute, comme elle en surprend plus d’un au sein même de la rédaction de BAM!. Pourtant, comme l'ont montré les résultats de mercredi, il semble que ce soit bel et bien ainsi que le perçoive la majorité de la population américaine.
Alors pourquoi ne pouvons‑nous pas sentir cette réalité ? Peut-être parce que nous ne lisons jamais ce genre de texte, pourtant manifestement pertinent, à propos des États‑Unis dans les médias européens ? Mais pourquoi nos médias ne nous relaient pas ce type de lecture, pourtant très courante outre‑Atlantique ? Il semble que nos médias ne remplissent pas leur rôle de nous informer, mais plutôt, en exerçant un strict contrôle sur ce qui est diffusé ou ne l’est pas en Europe, exécutent un soigneux travail de désinformation. Un travail de désinformation quotidien, qui nous amène à une perception des faits totalement déconnectée de la réalité.
Une déconnexion des faits contraire à l’exercice de la démocratie
La déconnexion de beaucoup d’Européens - surtout les bien nommés « éduqués », d’après ce qui peut être constaté assez facilement en discutant autour de soi - quant aux réalités américaines est toujours plus ébahissante, même chez ceux qui ont compris le pot aux roses pour d’autres thèmes, comme par exemple le Covid ou le climat.
La déconnexion est d’ailleurs très majoritairement semblable chez les Européens par rapport aux réalités russes, chinoises, iraniennes, etc. L’Européen semble sincèrement croire que la majorité des Russes, des Chinois et des Iraniens, pour prendre trois grosses cibles de la propagande actuelle en occident, sont des opposants à leur propre pays et en ont une vision semblable à celle développée ici. Ce qui, si on prend la peine de se renseigner deux minutes objectivement, est risible. La majorité des Russes, des Iraniens, des Chinois, sont évidemment plus favorables à leur propre pays qu’aux vues de l’occident. Comment les Européens peuvent‑ils croire le contraire ? On semble vivre ici dans une bulle intellectuelle, fruit semble‑t-il d’un biais constant dans l’accès à l’information. Or qui contrôle cet accès ? Et ce contrôle est‑il volontaire ou bien le fruit d’une évolution sociale « naturelle » ?
Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, l’une des choses dont les Européens semblent avoir le plus grand besoin, c’est d’une école de pensée permettant de s’affranchir réellement de ce contrôle de l’opinion, quelle qu’en soit l’origine – artificielle ou non -, afin de redonner sens à la notion de démocratie. Car, comme le remarquait Hannah Arendt, il ne peut y avoir d’exercice de la démocratie que si le débat public est informé de faits réels. Sans accès aux faits, que vaut notre propre pensée ?
Cet affranchissement semble passer au minimum par la lecture régulière de la presse, ou de sources, provenant de différents pays appartenant aux différents blocs. Sinon comment comparer et se faire sa propre opinion ? Aussi, l’apprentissage de langues étrangères non‑occidentales ne devrait‑il pas, de ce point de vue, constituer un élément clé de l’éducation ?
Faire la différence entre décrire et adhérer
En termes d’éducation, il semble également nécessaire d’apprendre ici en Europe à faire une différence entre décrire les choses et y adhérer : écrire "Trump est populaire aux US" est un constat d'une réalité, qui n'a rien à voir avec "être pro‑Trump".
Exactement comme écrire "le régime iranien bénéficie d'un soutien substantiel dans la population" est le constat d'une réalité, ce qui est très différent d'adhérer aux principes de ce régime.
Cette espèce de tribalisme de la pensée, qui nivelle le discours, aveugle fort, à ce qu’il semble. Les résultats électoraux de la semaine passée aux États‑Unis en sont une bonne illustration pour beaucoup d'Européens qui n'ont pas su voir ce qui se passait de l’autre côté Atlantique, bloqués dans leur binarité "pro ou anti" "Trump".
Comme si cette binarité "pro‑Trump" contre "anti‑Trump" permettait d'y comprendre quoi que ce soit.
Que nous réservent les prochains mois ? Comment réagir ?
Maintenant que Donald Trump a été réélu, que nous réservent les prochaines semaines, les prochains mois et les prochaines années ?
Peut‑on s’attendre à une remise en question par nos médias et nos responsables politiques ? Vont‑ils dénoncer les biais qui ont été les leurs et s’atteler à enfin nous apporter une description des faits plus proche de la réalité ?
Au vu de ce qui s’est passé tout au long de ces dernières années, et du traitement d’autres événements récents, il est permis d’en douter. Alors, que reste‑t-il à faire aux Européens ?
Pourquoi ne pas suivre l’exemple américain ? Fuyons les médias et les tenants du discours officiel, et apprenons à nous forger notre propre opinion en nous informant de manière active. Comparons la presse de pays aux tendances opposées, collectionnons les sources de qualité disponibles sur les réseaux sociaux. Soyons enfin adultes dans notre façon de nous informer et de nous faire notre propre opinion.
Et effectuons ce travail pour chaque sujet, pas seulement pour celui qui nous tient à cœur. Partons du principe que chaque nouveau ou ancien thème, par défaut, comme tous les autres, est suspect d’être ou d’avoir été soumis à la propagande. Ne remettons pas seulement le narratif en cause pour le thème qui nous est cher, tout en continuant à nous laisser modeler si facilement notre opinion pour tous les autres sujets. Au contraire, évitons dorénavant, pour tous les sujets, de tomber dans le panneau du discours dominant.
Par Nicolas Mertens, journaliste citoyen pour BAM !
Image générée à partir de l’intelligence artificielle Grok