La Banque Européenne d’Investissement (BEI) a annoncé un prêt de 100 millions d’euros au groupe média flamand DPG (De Persgroep). Un prêt sur 2 ans pour des investissements numériques qui s’inscrit dans le cadre d’un plan plus large de 244 millions [1]. Une telle somme d’argent mérite que l’on s’intéresse aux instances concernées par la transaction.
Pour rappel, la BEI est une banque d’investissements solides et durables (sic) directement rattachée à l’Union Européenne. C’est la première institution financière au monde par le volume de ses prêts, avec un portefeuille estimé à deux fois le volume de la Banque Mondiale. Créée en 1958, elle a apporté son soutien, au début des années 2000, pour des projets sociaux et environnementaux dans les pays de l’Europe de l’Est. Dans ces transferts d’argent, la BEI fait l’objet de contrôles.
Qui retrouve-t-on dans ce rôle ? Kris Peeters, ex-Ministre-Président flamand pour le compte du CD&V est devenu vice-président de l’institution depuis janvier 2021.
DPG Media Group, connu sous le nom De Persgroep (maison mère du quotidien Het Laatste Nieuws et de VTM), compte 90 marques d’édition et est présent aux Pays-Bas et au Danemark. DPG est à la Flandre ce que Rossel est à la partie francophone du pays : un groupe leader dans le secteur des médias. Ces deux groupes viennent d’ailleurs de racheter ensemble les activités de RTL Group [2]. Leurs dirigeants Bernard Marchant et Christian Van Thillo sont issus des familles actionnaires de ces deux groupes.
Les élites flamandes
À contrario du sud du pays où l’esprit de corps est moribond voire inexistant, les dirigeants flamands présentent un front uni à l’extérieur. La construction d’une Nation flamande n’est sans doute pas étrangère à cette posture. Ainsi donc, un an à peine après son arrivée à la vice-tête de la BEI, Kris Peeters lâche un prêt de 100 millions à DPG. Or, rappelons-le, DPG est un groupe très privé, très business et très intégré dans le paysage socio-politique flamand. Le prêt est censé couvrir des investissements numériques à hauteur de 100 millions d’euros… sans qu’on connaisse précisément leur nature.
Dès lors, est-ce bien opportun qu’une institution comme la BEI soutienne ce type d'investissements qui n’offre aucune plus-value environnementale, sociale, ni perspectiviste. Il semble qu’il s’agisse plutôt ici de consolider un groupe déjà bien établi. Et la question de la proximité des acteurs se pose dans cette affaire.
Des médias belges subsidiés par de l’argent public [3]
Qui reçoit combien ? Il faudrait y consacrer une véritable enquête tant les contours sont flous. Le partage des aides publiques s’opère en toute discrétion entre la Fédération Wallonie Bruxelles et des décideurs politiques en prise directe, comme lors du rachat, dans un passé récent, de L’Avenir par l’intercommunale liégeoise Nethys. Les aides et subsides sont principalement consacrés aux grands médias au détriment des plus faibles - notamment les télévisions locales. Sans ces aides, certains médias privés seraient économiquement morts.
Et l’information dans tout cela ?
En France, on discute au Sénat de la question de la concentration des médias au sein de groupes privés de moins en moins nombreux, de plus en plus lourds. Tous les patrons justifient ces regroupements car ils permettent des investissements numériques pour contrer les GAFA et offrir une information de qualité. Dans leur communiqué commun, Kris Peeters et Christian Van Thillo égrènent le même discours convenu.
Et l’information de qualité dans tout cela ?
Pour la presse mainstream, les réseaux sociaux (donc les GAFA), c’est de l’information-poubelle qui regroupe fake news, trolls, repaires de complotistes et fachos en tous genres, tous prêts à attaquer le Capitole, la Bastille ou La Monnaie.
Ces « vertueux » défendent la déontologie journalistique et l’information de qualité. La réalité sur le terrain, ce sont des journalistes mal payés au statut précaire. Les opérations de « consolidation » ont écrémé les rédactions, car l’heure est à la « synergie » des contenus entre rédactions d’un même groupe. La crise du covid a démontré que pour les nouveaux magnats de la presse, information rime avec propagande des pouvoirs publics en place. « Qui ne sait pas rendre un service n’a pas le droit d’en demander ».
Entre peste et choléra ?
Entre les réseaux sociaux qui pratiquent, hélas, la censure, mais ouvrent leur espace à de multiples opinions et sources d’informations et des médias classiques qui « se consolident numériquement » mais qui consolident aussi leurs liens avec le pouvoir, le citoyen est-il mieux informé, en fin de compte ?
Par Philippe Davister, chroniqueur chez BAM!
[1] Communiqué de presse commun sur le site DPG : https://www.dpgmediagroup.com/en/news/eib-and-dpg-media-group-eur-100m-further-digitalisation-media-platforms-belgium-and
[2] Le rachat d’RTL Belgique a été évoqué dans une précédente tribune : https://bam.news/tribune/le-groupe-rossel-actionnaire-dans-le-business-pharma-est-ce-bien-normal/
[3] Voir article des medias et de l’argent public : https://www.philomedia.be/des-medias-et-de-l-argent-public/
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