Chaque année à cette période, des images de visages monstrueux, de bave, de sang et de regards méchants remplissent notre espace public et, du coup, nos psychés.
L’année en Occident se rythme de fêtes autrefois religieuses (voire spirituelles) devenues hautement commercialisées : Noël en hiver, Pâques au printemps et Halloween en automne.
Peu à peu, ces fêtes se sont vidées de leur sens collectif, spirituel et symbolique pour ne rester que des opportunités très lucratives qui nous entretiennent dans des habitudes consuméristes sans nous enrichir sur d’autres plans.
Un peu d’histoire
On vient de vivre Halloween. Cette fête a connu une histoire sinueuse en Europe, prenant ses origines dans des célébrations païennes dont la célèbre Samhain pour honorer la fin des récoltes, l’arrivée de l’hiver, mais aussi la partie de l’année où le voile entre le monde des vivants et des morts est considéré comme étant le plus ténu et donc le moment où nous pouvons entrer le plus facilement en contact avec ceux qui nous ont quittés.
Ce fût le Pape Grégory III qui, au 8e siècle, a déplacé la Fête des morts chrétienne qui se déroulait le 13 mai, au 31 octobre afin de christianiser cette fête trop païenne à son goût.
Parlons fric
Cette année, rien qu’aux Etats-Unis (où Halloween a pris son essor sous sa forme actuelle), les pronostics de la NRF (National Retail Federation - Fédération nationale de vente au détail) évaluent le chiffre de 10,6 $ milliards dépensés[1] pour cette nuit du 31 octobre, dont 2,34€ milliards en sucreries (soit 300 000 tonnes)[2] et près de 804$ M en citrouilles[3]… dont 1,3 milliards de tonnes finiront à la poubelle[4].
Parlons mort
Comme pour justifier la présence d’images de têtes de mort, de sorcières et de zombies écorchés qui affluent dans l’espace public dès la fin de l’été, beaucoup se rabattent sur le fait qu’Halloween, puisqu’à la veille de la Toussaint, prend ses origines dans la Fête des morts. Mais, la laideur gratuite et la nature mortifère de tout ce qui entoure Halloween tel qu’il est « célébré » dans le monde occidentalisé ne se réfèrent en rien à la célébration des défunts qui, elle, est marquée par le respect, l’offrande et la mémoire.
Il est estimé que 70% de la population étatsunienne, soit 235 millions de personnes, ont fêté Halloween cette année.[5] Par contre, la Toussaint ou n’importe quelle autre célébration collective en honneur des ancêtres, puisque non rentable, n’est pas chiffrée et ne fait l’objet en Occident que d’un jour férié et des commémorations individuelles.
On évoque la Dia de los Muetros au Mexique. Cette fête se déroule traditionnellement sur trois jours : le premier est consacré aux enfants décédés, le deuxième aux personnes mortes de façon violente et le troisième à tous les autres défunts.[6] La famille du défunt nettoie sa tombe, danse, chante et laisse des offrandes afin de pourvoir aux besoins du défunt dans l'au-delà. Notions étrangères pour nos sociétés uber-productivistes, logiques et surtout dont la famille elle-même devient une réalité fragmentée.
Les morts, les vivants et la beauté
Dans d’autres cultures, le jour des morts est l’occasion pour les vivants de se relier entre eux en mémoire de ceux qui ont quitté la Terre.[7]
En Corée du sud, la Chuseok est une fête pour témoigner sa reconnaissance aux ancêtres. Elle n’est pas tant axée sur les morts que sur l’occasion de rendre hommage à ceux qui sont maintenant « de l’autre côté du voile ». Les gens se rendent visite, nettoient les tombes, préparent des mets fins et expriment de la gratitude à ceux qui les ont précédés.
Traditionnellement, à la Toussaint, les croyants nettoyaient les tombes, y mettaient des chrysanthèmes et allumaient des bougies.
Air Muyan, est célébrée sur l’Île Carey à 140km de Kuala Lumpur. Les habitants se revêtent de leurs plus beaux costumes et de masques complexes. Ils adressent des prières et des bénédictions à leurs ancêtres.
La mort dans une société qui donne priorité à la stérilité
Dans les pays occidentalisés, où les virus sont diabolisés et où l’hydrogel est posté à l’entrée de chaque établissement pour nous sauver des microbes, il n’est pas étonnant que la mort ait du mal à trouver une place naturelle dans une pratique collective. Alors qu’une gigantesque campagne a mis les citoyens sous pression de se faire vacciner afin de protéger leurs grands-parents, des milliers, voire des millions de personnes sont mortes seules et sans que les leurs puissent venir les enterrer convenablement pour leur rendre un dernier hommage ensemble.
La notion de la mort a été largement phagocytée par une fête commerciale qui met l’horreur à l’honneur. A nous de raviver, voire de réinventer des pratiques nous permettant d’aborder la mort avec plus de respect et de beauté, où nous pouvons ensemble rendre hommage, laisser place à la mémoire, manger et pleurer pour faire ce que ces fêtes ont fonction de faire : traverser la douleur de la mort ensemble et l’expier afin de continuer à vivre.
Nous connaissons presque tous les expériences du Dr Emoto sur l’eau. Au contact de mots de bonté et de gratitude ou d’une musique harmonieuse, des molécules d’eau s’agencent dans des formes équilibrées, contrairement à celles qui sont mises en contact de mots de haine ou de musique dissonante.
La beauté sauvera le monde.[8] A nous de sauver la beauté.
Par Katiouchka, journaliste et correspondante pour l’Amérique du nord chez BAM!
[1] https://nrf.com/research-insights/holiday-and-seasonal-trends/halloween
[2] https://korii.slate.fr/biz/
[3] https://www.finder.com/cost-of-pumpkins
[4] https://www.msn.com/en-us/lifestyle/home-and-garden/
[5] https://www.statista.com/statistics/
[6] https://www.gralon.net/articles/
[7] https://theculturetrip.com/africa/
[8] https://www.pimido.com/philosophie-et-litterature/
Source photo : BAM!