Qui sommes-nous?
Nous sommes deux enseignantes belges, motivées, compétentes, dévouées, désireuses de transmettre le meilleur à nos élèves et dans les meilleures conditions.
Nous ne nous réclamons d’aucun parti, d’aucune appartenance ou mouvance particulière, d’aucune organisation politique, syndicale ou autre. Nous sommes pluralistes, ouvertes et tolérantes. Nous sommes attachées aux valeurs de liberté, d’égalité, de paix et de solidarité.
Quel est l’objet de ce manifeste?
Citoyennes protectrices et défenseures de la démocratie, nous nous inquiétons de la mise en danger de nos institutions et des restrictions infligées à nos droits et libertés. Nous estimons que les dysfonctionnements démocratiques engendrés par la politique sanitaire du gouvernement impactent la sphère pédagogique et ne nous permettent plus de mener à bien nos missions d’enseignant.es.
Certes, nous reconnaissons que la situation épidémique nécessite des mesures particulières. Mais elles doivent être proportionnées et adaptées au fil du temps; et elles doivent être soumises à une balance judicieuse coûts-bénéfices-risques. Des mesures coercitives et liberticides, qui pouvaient faire l’objet d’un consentement exceptionnel en situation d’urgence sanitaire, au printemps 2020, ne sont pas acceptables sur le long terme: dans le monde médical et paramédical, de nombreux professionnels s’alarment de leur impact majeur sur la santé physique, psychique et affective des enfants et des adultes. La gestion épidémique sur le long terme réclame une autre vision.
Nous déplorons que les décisions prises depuis un an par voie d’arrêtés ministériels n’aient pas fait l’objet d’une consultation des acteurs concernés ni d’une évaluation a posteriori. De fait, les mesures semblent devoir se prolonger indéfiniment et cela ne nous paraît pas acceptable.
Faire de l’école une nouvelle cible et l’accuser de tous les maux (conférence de presse du 19/03/2021) n’aidera pas à travailler dans le sens de la santé et du bien-être de nos jeunes, bien au contraire. Des règles fluctuantes, non proportionnées, voire incohérentes et dépourvues de sens, ne constituent pas un cadre d’apprentissage et d’éducation sécurisant et porteur.
Nous détaillons ci-après comment les mesures anti-covid imposées par le gouvernement nous mettent en porte-à-faux avec nos missions (prévues par décret en Fédération Wallonie-Bruxelles), comment elles les compromettent et lèsent notre travail d’enseignant.es, celui des enfants, la vie scolaire en général.
En quoi nos missions sont-elles compromises par les mesures sanitaires?
Mission: promouvoir la confiance en soi.
Comment « promouvoir la confiance en soi » chez nos élèves quand tout l’arsenal des mesures anti-covid parle de défiance, de « barrière » ou même de rejet ? Port du masque obligatoire, distanciation sociale, désinfections fréquentes, confinement, isolement, toutes ces mesures signifient et induisent défiance vis-à-vis de l’autre comme potentiellement contaminant, défiance aussi vis-à-vis de soi-même, culpabilisation, peur, angoisse (d’être contaminé ou contaminant), soupçon permanent, surveillance, auto-surveillance, etc.
Mission: amener tous les élèves à s’approprier des savoirs.
Comment « amener tous les élèves à s’approprier des savoirs » avec un enseignement en situation d’hybridation? L’enseignement en distanciel, par voie numérique, nourrit passivité, inattention et désengagement. Livré à lui-même derrière son écran, isolé, en butte à toutes les distractions de la vie de la maison, l’élève, même s’il est de très bonne volonté, ne peut atteindre le niveau de concentration qu’il aurait au sein d’un groupe-classe, en présence de son professeur. Il croit apprendre, alors qu’il n’apprend pas. Il croit connaître, alors qu’aucune réelle assimilation n’a eu lieu. Une appropriation réelle des savoirs et compétences, une intégration réelle, ne peut se produire que dans une implication attentionnelle et cognitive maximisée par la présence des autres élèves et du professeur. Le groupe-classe génère une intelligence collective, une dynamique féconde, que rien ne saurait remplacer, sans de profondes lésions de l’apprentissage. En situation d’enseignement à distance, le professeur en est souvent réduit à donner un cours magistral, devant un groupe virtuel d’élèves dont il arrive qu’il ne voie pas le visage (les caméras sont coupées). L’interaction est donc limitée, quand elle n’est pas inexistante. Pour les professeurs, cela constitue une atteinte à leur compétence professionnelle, qui ne peut s’exercer dans des conditions acceptables et doit se satisfaire d’amoindrissement et de médiocrité.
Mission: amener tous les élèves à prendre une place dans la vie sociale.
Comment «amener tous les élèves à prendre une place dans la vie sociale» si tous les signaux envoyés par la politique sanitaire de nos gouvernants visent à disqualifier la vie sociale, en tant que vecteur de contamination virale? Comment les enfants et les jeunes pourraient-ils entendre dans tout cela un message positif concernant la vie sociale? Comment ces enfants, ces jeunes, pourraient-ils se forger une autre représentation du monde qu’un univers fragmenté où l’on se regarde de loin, où l’on se méfie de l’autre et où tout geste de complicité est banni? Comment ces enfants-là vont-ils apprendre la solidarité? Comment vont-ils apprendre l’empathie? Comment vont-ils apprendre le vivre-ensemble?
Mission: amener tous les élèves à prendre une place dans la vie culturelle.
Comment «amener tous les élèves à prendre une place dans la vie culturelle» dès lors que la vie culturelle est condamnée et en voie d’extinction? Si aucun enseignant ne peut aujourd’hui emmener ses élèves voir une pièce de théâtre ou visiter un musée, ces activités resteront pour eux lettre morte. Les adultes qu’ils deviendront ignoreront que ces domaines essentiels du savoir et de l’art existent. Ils ignoreront l’énergie particulière qui se dégage dans une salle de spectacle, où un public nombreux vient vivre et applaudir une performance. Et ils ne pourront rien en transmettre à leurs enfants. Ils ne seront pas en capacité de le faire. Ils n’auront pas non plus la volonté de le faire. Et la culture va se perdre. D’autre part, comment pouvons-nous, nous enseignant.es, faire comprendre à nos élèves à quel point la culture est un pilier, une donnée fondamentale de la démocratie? Comment leur montrer qu’elle encourage la diversité, qu’elle valorise la créativité, l’ouverture, la tolérance? Comment leur faire comprendre cela si tous les signaux envoyés par la politique sanitaire du gouvernement proclament son abolition pure et simple?
Mission: préparer les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au fonctionnement d’une société démocratique.
Comment «préparer les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au fonctionnement d’une société démocratique» si les gouvernants eux-mêmes piétinent les institutions démocratiques et les droits fondamentaux, si la légalité n’est pas respectée?
Mission: préparer les élèves à contribuer au fonctionnement d’une société ouverte sur d’autres cultures.
Comment nous, enseignants, pourrions-nous les préparer à «contribuer au fonctionnement d’une société ouverte sur d’autres cultures» si les frontières sont fermées et les voyages interdits? Si l’on ne peut pas sortir le soir pour aller à la rencontre de quelques amis ou voisins? Si le monde est sans cesse présenté, sous oeillères, comme un dangereux repaire de virus à la létalité croissante? Comment préparer des jeunes à exercer leurs responsabilités de citoyens au sein du corps social s’ils ne sont jamais confrontés au corps social? Si des mesures longue durée de confinement, couvre-feu et «gestes-barrières» leur interdisent tout contact, tout échange avec leurs semblables?
Mission: assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.
Comment pourrions-nous, nous enseignants, «assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale» s’ils reçoivent comme mot d’ordre de «rester chez eux»? L’enseignement à distance les expose non seulement à la fracture numérique mais aussi à la double peine de ne pas pouvoir s’extraire de conditions de vie parfois difficiles et limitantes. On sait que certains élèves confinés sont exposés à des violences intrafamiliales, à des risques d’abus, de maltraitance. L’isolement et la fragmentation sociale favorisent également le repli identitaire et le communautarisme. Fréquenter l’école peut représenter pour certains jeunes la seule et unique chance de voir l’horizon s’ouvrir et d’accéder à une émancipation digne de ce nom.
Enfin, nous tenons à exprimer de nettes réserves sur le port du masque en situation d’enseignement. Ces réserves concernent et les élèves et les professeurs. De nombreuses voix de professionnels de la santé des enfants et adolescents s’élèvent depuis des mois pour dénoncer les dommages encourus – dommages potentiellement irréversibles – par le port du masque dans le contexte scolaire. Difficultés d’apprentissage, déficit attentionnel, absence de discernement émotionnel, absence d’empathie, absence d’apprentissage de l’empathie, difficultés à contextualiser le savoir, déshumanisation, manque de motivation affective, angoisses renforcées, troubles obsessionnels compulsifs, culpabilité, inconfort physique et moral etc. Une composante essentielle, vitale, de la vie scolaire et étudiante est la socialisation. Cette composante est indispensable pour la construction de la personnalité des jeunes. Elle ne peut être ignorée comme elle l’est actuellement. Par l’étouffement de la voix, par le voilement des visages - donc des expressions faciales – le masque restreint, lèse la communication, en particulier la communication non-verbale. Elèves et professeurs n’entendent que partiellement ou imparfaitement ce que l’autre dit. Ils ne peuvent percevoir les émotions qui accompagnent le message verbal. Le masque agit comme un cache, comme une barrière, avec, pour conséquences, moins d’audace dans l’expression, retrait, interactions diminuées, communication de qualité médiocre. Pour compenser ces problèmes, de nombreux professeurs forcent leur voix, la fatiguent excessivement et se blessent.
Ce que nous demandons:
Si nous voulons pouvoir former valablement les enfants et les jeunes qui nous sont confiés, pour en faire les futurs citoyens de demain, nous devons pouvoir le faire dans un cadre démocratique, juste et libre, où chacun garde pleine jouissance de ses droits fondamentaux. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Nous devons aussi pouvoir le faire dans un cadre où confiance, ouverture, plaisir d’apprendre, équilibre, créativité, liberté d’expression, sont à l’honneur. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Nous demandons d’urgence une réorientation de la politique sanitaire, dans une vision de la gestion de l’épidémie qui soit plus ouverte, plus responsable, plus citoyenne.
Nous demandons la restauration de l’Etat de droit et du débat parlementaire.
Nous demandons le rétablissement d’un cadre sociétal juste, nourrissant, structuré, qui offre une réelle sécurité et soit facteur d’équilibre. Nous demandons que les conditions de cette réelle sécurité soient étudiées et débattues pour une grande diversité d’acteurs de la société civile.
Nous demandons à sortir de la logique répressive et liberticide de la gestion de l’épidémie.
Nous demandons des moyens pour remettre nos missions au coeur de la pratique pédagogique, pour désentraver leur mise en oeuvre, pour les remettre en adéquation avec l’exercice démocratique.
Nous demandons un réexamen objectif impartial et approfondi des «gestes-barrières», à la lumière des préoccupations exprimées par les professionnels de la santé mentale.
Nous demandons le maintien d’un enseignement en présentiel à 100%, à tous les niveaux, du maternel au supérieur universitaire.
Par Corine Dehaes et Valérie Tilman
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celle de BAM!
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