Si le fondement du pass sanitaire est bien la santé publique, alors l’Autorité demande d’exclure une série de lieux et événements de la liste de ceux qui sont soumis au pass : « les événements et les festivals qui se déroulent ‘en mode statique’, les restaurants ou encore les cinémas, les théâtres et les musées. »
L’Autorité de protection des données souligne la contradiction entre le rapport du Groupe d'experts en charge de la stratégie de gestion (GEMS) du 31 août et l’instauration du pass sanitaire « dans des lieux et événements qui peuvent faire l’objet de mesures moins attentatoires au droit à la vie privée » telles que la ventilation, le port de masques, les tests et quarantaine, ainsi que le respect des distances sociales.
Pass retoqué
Dans son avis rendu « en extrême urgence » sur l'avant-projet d'ordonnance relative à l'extension du pass sanitaire belge (« Covid Safe Ticket » ou CST), l'Autorité de protection des données pointe du doigt de nombreux problèmes relatifs à la législation actuellement en cours d’adoption : contradiction avec l’avis des experts gouvernementaux, absence d’évaluation du statut de l’épidémie, mécanisme d’adoption, absence d’évaluation avantages/inconvénients.
Chantage à la vaccination
L’Autorité rappelle que le pass sanitaire est un « dispositif intrusif dans le droit à la vie privée » et qu’à ce titre, le recours à un tel instrument doit être « nécessaire et proportionné », ce qui semble ne pas être le cas ici.
Au passage, l’avis de l’Autorité cite la position du législateur : « une alternative portant moins atteinte à la vie privée que le CST serait une vaccination spontanée de 95% de la population et ce dans tous les groupes sociaux » ! C’est donc bien un chantage à la vaccination, et non pas pour éviter une surcharge des hôpitaux ni maintenir certains secteurs ouverts, comme le soulignent les critères de base du pass.
Pas assez justifié
Les autorités publiques doivent « mieux justifier » que les avantages que le pass apporte (protection de la santé, limitation de la circulation du virus à un niveau tel qu’on peut éviter une surcharge hospitalière et maintenir les frontières, les écoles et les commerces ouverts), dépassent les inconvénients et les risques (y compris, le risque de créer un faux sentiment de sécurité, le risque de discrimination, le risque d’accoutumance et de normalisation sociale des comportements qui portent atteinte aux droits fondamentaux et le risque de « glisser » vers une société de surveillance) qu’il introduit.
L’Autorité souligne également que la situation épidémiologique doit être évaluée, non seulement à l’aune des critères de base (taux d’incidence et tendance, taux de positivité, contagiosité des variants circulants, taux de vaccination des groupes à risque par le conseil supérieur de la santé, taux et vitesse de remplissage des lits hospitaliers généraux et de soins intensifs covid), mais également au regard de l’objectif du pass, à savoir : « éviter une surcharge du système des soins de santé tout en maintenant les secteurs ouverts ».
Alerte sur la démocratie
Même si la législation entourant le pass sanitaire prévoit d’informer les élus au moyen d’un « dossier reprenant les éléments qui ont justifié la mise en place de la mesure », l’Autorité suggère toutefois de prévoir un mécanisme de confirmation parlementaire similaire à celui prévu par la loi Pandémie.
Si l’utilisation du pass est prévue d’être évaluée mensuellement par l’Etat, l’Autorité précise que cette évaluation doit porter sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure afin de garantir « que l’ingérence dans le droit à la vie privée soit (et reste) strictement nécessaire et proportionnée au vu des circonstances ». Ce régime peut être toutefois prorogé de trois mois en trois mois, jusqu’au 30 juin 2022.
Pas sur base volontaire
L’Autorité souligne enfin qu’il est inadmissible de déléguer aux organisateurs et exploitants de certains lieux et événements le pouvoir de prendre la décision d’exiger (ou non) la présentation du pass. C’est bien au législateur qu’il revient de déterminer les conditions dans lesquelles il est nécessaire et proportionné d’avoir recours au pass, car les traitements de données réalisés dans le cadre de l’utilisation d’un pass « ne seront licites que s’ils sont nécessaires au respect d’une obligation légale ».
Avis seulement consultatif
L’avis de l’Autorité de protection des données est consultatif, mais il donne une idée des enjeux de la législation à venir en termes de protection du droit au respect de la vie privée, tel que garanti par l’article 22 de la Constitution et par différents traités européens, et des libertés fondamentales des citoyens par une instance publique indépendante. Les législateurs n’ont aucune obligation d’en tenir compte.
Par Hughes Belin, Rédacteur en chef chez BAM!
https://www.md-universal.eu/images/avis-n-164-2021.pdf
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