Beaucoup d'organisations, de ministères, d'institutions reconnaissent combien la problématique des sols est cruciale pour la vie sur Terre. Et pourtant personne ou très peu de personnes agissent pour les protéger. La situation est connue, les solutions bien connues et pourtant, les institutions ne bougent quasiment pas.
Omerta sur le sujet des sols
Les médias mainstream ne parlent pas des sols, pire ils évitent d'en parler car c'est un sujet conflictuel entre les tenants durs (et leurs lobbys) d'une politique agricole intensive et les tenants minoritaires d'une agriculture viable et résiliente. Il est pourtant urgent qu'on en parle, qu'on informe sur ce sujet, car les nouvelles sont catastrophiques : on assiste en ce moment à l'extinction des sols [1]. Or, sans ceux-ci, la vie sur terre n'est plus viable. Prendre à bras le corps la régénération des sols permettrait d'éviter des famines touchant un quart de l'humanité, de lutter contre le stress hydrique et de renforcer la santé des populations.
Pour mieux comprendre l'importance des sols, commençons par quelques chiffres et données :
Sols nourriciers
- Dans le monde entier, près de 80% de la consommation calorique moyenne de chaque personne trouve son origine dans les espèces végétales directement cultivées dans les sols [2].
- 95% de nos aliments viennent des sols.
- Grâce à une gestion durable des sols, nous pourrions produire jusqu'à 58% de nourriture en plus. La préservation des sols est essentielle afin de réaliser l'objectif Zéro Faim à travers le monde.
- Fortement négligée mais essentielle, la teneur en matière organique des sols. Un sol riche, présent une teneur élevée en nutriments dont notre immunités à grandement besoin (Zinc, potassium, etc).
Support de la biodiversité
- Il y a plus d'organismes vivant dans une cuillerée de sol que de personnes sur Terre [3].
- La majorité des antibiotiques connus trouvent leur origine dans les bactéries du sol, y compris la pénicilline.
- 1/4 de la biodiversité terrestre se trouve dans les sols.
- 27 000 espèces vivantes dans les sols disparaissent chaque année.
Puits de carbone
- Les sols peuvent séquestrer près de 20 000 mégatonnes de carbone en l'espace de 25 ans, soit 10% de plus que le total des émissions de gaz à effet de serre [4].
- Le stock de carbone organique contenu dans le premier mètre de profondeur de sol au niveau mondial (entre 1 500 et 2 000 gigatonnes) est supérieur aux stocks de carbone organique de la biomasse végétale (650 gigatonnes) et de l'atmosphère (750 gigatonnes) réunis.
Dégradation des sols
- La formation d'1 cm de sol peut prendre jusqu'à 1 000 ans [5].
- 40% des sols à l'échelle mondiale sont modérément ou gravement dégradé.
- 60% des ressources en sols de l'Afrique sont actuellement dégradées.
- En Europe, ce sont près de 11 ha de sols par heure qui disparaissent en raison de l’expansion urbaine.
- A moins de 1% de matière organique dans le sol, la terre se transforme en sable. La moyenne de matière organique pour l'Europe est entre 1,4 et 1,6%. L'Afrique est en moyenne à 0,3 %. L'Inde est à moins de 1%.
- Gaspillage alimentaire
- Artificialisation des sols
- Exploitation minière
La matière organique, c’est le microbiote
Fortement négligée mais essentielle, la teneur en matière organique des sols se dégrade partout dans le monde. L’ONU tire la sonnette d'alarme (FAO, PNUE, Convention des Nations-unies contre la désertification dont la Conférence des parties s’est réunie à Abidjan début mai). Des sols pauvres signifient stress hydrique et famine : 1 à 2 milliards de personnes risquent fortement de connaître la famine et la soif dans les deux décennies qui viennent. Ce seront autant de migrants qui fuiront ces territoires et qu'il faudra gérer.
La matière organique, c'est le microbiote des sols ou « microbiote tellurique », c’est-à-dire des micro-organismes, bactéries, archées, champignons, virus, etc. Plus le pourcentage est élevé et plus le microbiote est dit « riche ». Il fournit ainsi tous les nutriments nécessaires, et permet, entre autres, de mieux résister aux nuisibles, de préserver la teneur en eau dans le sol et de considérablement stocker le carbone [6]. On pourrait comparer ce microbiote à celui des humains : un bon microbiote assure la santé et augmente l’immunité.
Notre santé en dépend
Un sol organiquement riche fournit un nombre considérable de nutriments. Ainsi, pour atteindre le même nombre de nutriments dans une laitue cultivée aujourd'hui, par rapport à celle cultivée dans les années ’20, il faudrait en manger 10 fois plus ! Les nutriments nous apportent les oligo-éléments (Zn, Cu, Mg, Mn, vitamines, etc.) essentiels au système immunitaire. L'épidémie de covid aurait-elle pu se répandre aussi vite si les populations concernées disposaient de suffisamment de Zn, Mg, vitamine C, etc. ? Les compléments alimentaires pour compenser ces carences ne suffisent pas ou trop peu pour compenser un déficit chronique.
Les causes de la dégradation
Celles-ci sont multiples mais les scientifiques responsables identifient les suivantes [7] :
- un profond changement de la pratique agricole extensive vers une pratique intensive. On a remplacé les animaux par des tracteurs qui ne génèrent pas de matière organique, qui tassent les sols et retournent profondément les sols, libérant ainsi une énorme quantité de CO2 et détruisant les premiers centimètres de terre les plus riches en vie. Une fois le sol massacré, l'apport pétrochimique d'azote, de nitrates et de potassium vient parachever la mort des sols.
- les effets du changement climatique sont de plus en plus prononcés sur les sécheresses, la perturbation du cycle de l'eau, etc.
- la complexité des lois qui régissent l'agriculture, la gestion des sols et leur régénération sont autant d'obstacles à la mise en œuvre de ces politiques. En d’autres termes, les politiques sont trop compliquées pour être appliquées.
- le gaspillage alimentaire [8] contribue à l’épuisement des sols. Quand on jette des aliments, on gâche l’eau, l’énergie, les engrais éventuels qui ont été utilisés (pour rien) sans compter le transport, la transformation et la distribution. En Europe, sont jetés en moyenne 173 kg par habitant/an. Pour la Belgique c’est le double : 345 kg par habitant/an [9].
[illustration : schéma en escalier vert et rouge de l’ADEME à tirer de la page https://www.ecoconso.be/fr/content/gaspillage-alimentaire-combien-de-nourriture-gaspille-t]
- l’artificialisation des sols : non seulement les sols sont mal exploités, les aliments qu’ils produisent sont gaspillés, mais l’Homme poursuit l’artificialisation de ceux-ci à travers le développement de l’urbanisation et l’expansion des infrastructures. L’artificialisation des sols amplifie le ruissellement de l’eau, l’érosion des sols, affecte la biodiversité en fragmentant les habitats [10].
- la pratique de l’exploitation minière entraîne une diminution de la fertilité des sols, la destruction de la structure des sols, une érosion considérable et dans de nombreux cas une pollution aux agents chimiques utilisés. Cette exploitation, souvent anarchique, est le fruit de nos sociétés avides de croissance, de notre mode de développement inadapté aux ressources tant renouvelables que non-renouvelables.
In fine, le sol est traité comme une ressource inerte (exploitable à merci) alors même qu'il est la source de la vie.
Les actions à mener
- Les solutions ne sont ni compliquées ni impossibles à mettre en place, elles sont tout à fait réalisables. Il faut imposer, à travers des subsides, l'augmentation à 3% de matière organique dans les 8 à 10 ans et à 6-10% au-delà. Comment ? Par une couverture végétale annuelle ou par l'apport de matière organique (lisiers, crottins, compost, ...)
- Mais la première étape, c’est la prise de conscience : le sauvetage des sols doit entrer dans les esprits et dans le cœur des citoyens. Pour l’heure, près de 80% de la population refuse de voir les choses en face. Il est temps d’éveiller les consciences.
Les êtres humains, convaincus que le bonheur vient de l’extérieur, ont transformé les richesses de la Terre en ressources. Ne pouvant se satisfaire d’une quête du bonheur basée sur une illusion, ils ont toujours besoin de plus pour combler un désir jamais à satiété. Ce faisant, les ressources de la Terre s’épuisent. Les scientifiques responsables affirment, faits à l’appui, que 6 de nos 9 écosystèmes ont atteint un point de bascule. Parmi ceux-ci, le sol, qui est source de la vie. Notre corps même est donc en voie d’extinction. En abandonnant le sol, à bien des égards, nous abandonnons la planète. Seule une élévation de conscience des êtres humains, conscience de notre interdépendance avec le Vivant, conscience du plus grand que Soi, conscience que la source du bonheur est en Soi, permettra d’inverser cette tendance auto-destructrice dans laquelle l’humanité est entrée [11].
Par Jean-Luc Roux, Journaliste indépendant chez BAM!
[1] https://www.lefigaro.fr/sciences/2018/03/26/01008-20180326ARTFIG00317-la-degradation-des-sols-pousse-la-planete-vers-une-6e-extinction-massive-du-vivant.php
[2] https://www.fao.org/news/story/fr/item/1071080/icode/
[3] ibid.
[4] ibid.
[5] ibid.
[6] https://www.infometha.org/pour-aller-plus-loin/la-matiere-organique/le-role-de-la-matiere-organique-dans-les-sols
[7] https://isha.sadhguru.org/global/fr/wisdom/article/trois-causes-et-quatre-consequences-de-la-degradation-des-sols
[8] À noter qu’il n’existe pas de définition internationale du gaspillage alimentaire !
[9] https://www.ecoconso.be/fr/content/gaspillage-alimentaire-combien-de-nourriture-gaspille-t
[10] https://bam.news/science/environnement/le-meilleur-antidote-contre-les-prochaines-pandemies-c-est-de-preserver-la-biodiversite
[11] Réflexion personnelle de l’auteur.
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