Pour inaugurer notre rubrique BAM déLIVRE, consacrée aux ouvrages publiés sans renfort de promotion, nous avons interviewé un auteur mystérieux. Il édite un roman subversif au titre qui sent le sapin et pourrait bien faire un carnage à Noël!
Obtenir une interview avec l’auteur relève du roman d’espionnage. Le pseudonyme Nicolas Boucher protège en effet une personnalité qui pourrait être reconnue. J’envoie donc mes questions à un intermédiaire et, pour ne pas affoler les systèmes de surveillance du Net, je fais d’abord référence à “Fallait‑il Tuer M?”, puis, me ravisant, seulement à FTM. Quelques jours plus tard, je trouve les réponses dans mes spams.. ou plus précisément les réponses à des questions différentes de celles que j’avais posées. Mais il faut savoir rebondir sur les opportunités du destin, comme le personnage principal du roman, un assassin qui, à travers cette fiction de 129 pages, se présente lui‑même comme l’instrument d’un régicide qui devait être accompli.
Provocateur, loufoque, subversif. Ce sont les trois mots‑clés que m’inspire cet ouvrage de fiction. Clés d’accès à l'univers construit par l’auteur. Clés qui ouvrent la porte d’une cellule de la prison de la Santé, depuis laquelle le personnage principal explique son acte et s’interroge sur sa portée, réelle et symbolique.
Incitation au meurtre?
La provocation, on la devine dès le titre du roman. On la retrouve aussi aux détours des confessions de cet assassin étrangement distant, factuel et dépassionné, qui refuse que son geste soit interprété comme un acte politique. C’est un geste ontologique. Provocateur, lorsque le narrateur décrit les militants stratégiquement disposés sur le passage du président pour “alimenter l’idée qu’il existait encore une partie du pays qui Lui serait restée fidèle”. Président dont le sang était “bourré de toxines, comme révèlera l’autopsie!”. Ultime provocation, l’assassinat se déroule lors d’une visite présidentielle, le 5 décembre 2023, dans… un abattoir!
Impossible de ne pas demander à l’auteur s'il ne craint pas qu’on prenne ce roman au premier degré, comme une incitation au meurtre. “Je voudrais insister ici sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un livre sur Macron. Et encore moins d’une quelconque incitation à faire usage de violence. Le titre n’est pas au demeurant, notez‑le bien, «Faut‑il tuer Macron?». Le narrateur le dit très clairement: Macron comme individu est très négligeable, il n’est rien au fond, le tuer n’aurait aucun sens.”.
En effet, à bien des égards, toute l’histoire semble volontairement loufoque. Un assassin qui s’appelle Boucher et commet un régicide dans un abattoir, - à l’issue d’une série de circonstances que je vous laisse découvrir - ce qui permet au Guardian de titrer: Slaughtered like a pig! (égorgé comme un cochon!). Loufoque aussi car le petit fonctionnaire territorial n’a rien d’un criminel fanatisé: “peu enclin à l’action, homme de méditation et d’étude, je forçais ma nature pour construire des scénarios…” Il nous est présenté comme le bras improbable d’une fatalité, “où la fortuité rencontre le déterminisme pour forger ce qu’a posteriori on appelle l’événement”.
Mais alors ce livre est‑il un canular?
“C’est au fond la question que je souhaite voir le lecteur se poser tout au long du roman” répond malicieusement l’auteur. “Sans imposer de grille de lecture, je dirais que le livre ressort du canular quant à son narratif; l’assassinat de Macron, son modus operandi loufoque. Pour le reste, je pense notamment à la deuxième partie, c’est du contraire d’un canular qu’il s’agit. J’ai voulu derrière l’ubuesque de la narration interroger l’absurdité de la situation que nous vivons à bien des égards depuis la prétendue crise sanitaire. Présentée sur une scène de théâtre il y a trois ans à peine, une telle situation nous aurait fait quitter la salle. Nous n’aurions pu ‘accrocher’ à une mise en scène si outrée, si désespérément outrée.”
L’auteur profite donc de ce polar politiquement incorrect, pour dénoncer une société hors‑sol, coercitive, dystopique. A commencer par la scène de crime, un abattoir de province, à l'avant‑garde du progrès. Le bétail y est plongé dans une réalité virtuelle rassurante, simulant de verts pâturages, pour lui éviter tout stress jusqu’au coup de matraque final. Image radicalement subversive! Le tout se déroulant dans “une terre d’exode rural et de désertification de tout, (…) où ce sont les bêtes, et non les hommes, qui y vivent, y sont soignées, considérées, et y meurent le plus dignement.”
Cependant, dans la seconde partie du roman, l’assassin est en proie au doute. Et si tuer l’arrogant représentant de la start up nation ne servait finalement à rien? Il y en a tant d’autres, d’ambitieux prétendants au titre de Young Global Leader, qui n’attendent qu’une (s)élection pour prendre sa place. Finalement, le geste du héros avait‑il un sens? “Ce qui a du sens en revanche,” m’explique l’auteur, “est d’essayer de tuer la réalité que des personnes telles que Macron, sorties d’officines très privées aux fins de la mise en coupe réglée d’une nation et de ses habitants, sont formées pour faire advenir. Ce n’est pas Macron qu’il s’agit de tuer, c’est le monde d’où il vient, celui qu’il habite et veut, comme tant d’autres mercenaires déguisés en chefs d’Etat, nous imposer.”
Le narrateur ne peut se résoudre à l’avenir déshumanisant que nous vend le Nouvel Ordre Mondial. Il décrit Macron comme “un homme en plastique, une image”. Il retrace sa résistible ascension. Un portrait subversif. Celui d'un personnage façonné de toute pièce par des officines spécialisées dans la fabrication de produits politiques high‑tech. Un produit “adapté aux attentes de la nation qu’on souhaite asservir”. “Ainsi construit, perfusé de millions, assuré du soutien de la finance devant laquelle il s'était si longtemps abaissé, Emmanuel Macron fut en capacité de faire croire qu'il avait «gagné» une élection…” Subversif aussi, l’assassin qui s’interroge sur les conséquences de son acte et s’inquiète: “N’ai‑je pas, indécemment, permis à l’imposteur de livrer son nom à la postérité?”
Est‑ce finalement l’humain qui est menacé?
Macron, qui est présenté comme l’archétype de la personnalité virtuelle est interchangeable. “L’interchangeabilité est bien ce qui inaugure le règne virtuel des dirigeants de sa génération.” Une réalité virtuelle, comme celle projetée durant la pandémie. Une réalité virtuelle qui menace “l’essence même du vrai.” Une réalité virtuelle qui se veut rassurante, comme celle imposée aux bœufs de l’abattoir de Lacaune, pendant qu’ils sont guidés, inconscients de la supercherie, vers une issue fatale. N’est‑ce pas finalement notre humanité que les Macrons de ce monde remettent en question?
“J’ai aussi écrit ce livre car face à la situation que nous vivons, où tout ce que vous et moi mettons sous le terme d’humain est menacé de disparition, peu de gens de lettres se sont mobilisés. Ils ont montré que la culture, comme les arts, n’échappent pas à la compromission. Ils ont consacré, à mes yeux, la défaite de la culture. L’otium n’existe plus, ce loisir cultivé relevant les âmes que toute société doit chercher à offrir à chacun, y compris aux plus dépourvus de patrimoine culturel. Comme le reste, littérature, philosophie (à de très rares exceptions près) et art ont abdiqué dans le divertissement. Ils sont aussi devenus une marchandise, une chose à consommer. Il faut avoir lu le dernier Annie Ernaux (un écrivain au demeurant d’une insipidité abyssale), vu le dernier film de tel autre dont demain oubliera le nom. La culture ainsi marchandisée est devenue la propriété (sur un plan ontologique quand ce n’est pas stricto sensu) des grands marchands donnant leurs ordres à nos dirigeants. L’otium a été avalé par le negotium. Un peu de littérature. Sans compromis. C’est aussi ce que je voulais offrir au lecteur.”
Ce livre, édité à compte d’auteur, est disponible en précommande à partir du 5 décembre 2023, uniquement sur le site: https://apotastena.com/
KAro pour BAM!
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Chapô de BAM!
Illustration de BAM! sur base d’une photo de JacZia sur Adobe Stock