La Wallonie a adopté, début février, sa loi pandémie. À l’avenir, pour toute autre situation d’urgence épidémique – dont la définition reste vague - , le gouvernement pourra ainsi intervenir avec une plus grande autonomie. Certains dénoncent le caractère antidémocratique de cette loi.
Depuis le 2 février 2022, la Région wallonne dispose de son propre décret en cas d’urgence sanitaire [1]. Inspiré de la loi fédérale Pandémie, ce décret inséré dans le Code Wallon de l’Action Sociale et de la Santé (CWASS) confère une très large autonomie d’action à la région en cas de future crise sanitaire.
Une Loi Pandémie Wallonne
Le décret wallon permet notamment à la Wallonie de décréter l’état d’exception sanitaire avant l’État fédéral, ce dont s’alarme une partie des citoyens. Nicolas Thirion, professeur ordinaire à la Faculté de droit, de science politique et de criminologie de Liège et auteur du Confinement pour les Nuls [2] voit, dans ce « texte mal rédigé », « la conséquence d’une série de dérives et d'affaiblissement de l'État de Droit démocratique depuis mars 2020 ». À l’instar de l’asbl Notre Bon Droit, il s’inquiète de cette logique politique qui « normalise un État de Droit exceptionnel ».
« La gestion de la crise sanitaire a malmené et affaibli les mécanismes de la démocratie représentative et de l’État de Droit ». Pour étayer son propos, le Pr Thirion rappelle les origines de la loi pandémie : cette dernière se base sur une loi fédérale de 2009, établie après la catastrophe de Ghislenghien, où il s’agissait d’interdire au public l’accès du lieu par mesure de précaution sanitaire, contre les émanations de gaz. Rien à voir, donc, avec une urgence épidémique.
Des mesures « absurdes et disproportionnées »
Mais d’après le Pr Thirion, dans le cas de la crise covid, les mesures attentatoires aux libertés publiques sont « absurdes et disproportionnées », et ce dès le départ. Il cite pour exemple les communes qui imposaient le port du masque en extérieur dans la totalité de leur périmètre. Selon lui, deux éléments expliqueraient ces dérives. D’abord, le Parlement, supposé garant de la démocratie et des droits fondamentaux, qui n’a pas joué son rôle de contrôleur gouvernemental sur la construction normative du texte de loi. Ensuite, le pouvoir juridictionnel, qui s’est également retrouvé « empêché » ; même quand le Tribunal de Première Instance décrétait l’illégalité de mesures sanitaires, les décisions étaient réformées en appel par des Cours supérieures.
Ainsi affranchi des organes de contrôle traditionnels, le gouvernement a déposé en avril 2021 un projet de loi pandémie, qu’il fait examiner et valider en urgence devant le Parlement, sans que les débats puissent être approfondis… « La loi la plus attentatoire aux droits fondamentaux et libertés publiques depuis la création de la Belgique », regrette le Pr Thirion. « Le gouvernement peut désormais déclarer une situation d’urgence épidémique sur la base de critères tellement larges qu’on peut l’imaginer pour les situations où une grippe saisonnière serait particulièrement forte ». Dès lors qu’un gouvernement décrète l’urgence sanitaire, il se donne les pouvoirs de restreindre les libertés citoyennes… alors que ce sont précisément les gouvernements et leur inertie qui sont responsables des problèmes d’organisation relatifs aux soins de santé, déplore N. Thirion.
L’exception devient la norme
Notons que la loi pandémie vient d’être prolongée pour trois mois (le 28 janvier), toujours sous prétexte d’urgence épidémique, et vraisemblablement toujours sans réel débat. « Nulle part dans les médias il n’est question de débats parlementaires, comme s’ils tenaient pour acquis que le Parlement allait confirmer la décision de l’exécutif ». Dans la foulée, la NVA a décidé de saisir la Cour constitutionnelle [3], car ce parti d’opposition considère qu’il n’y a plus d’urgence, et que cette loi confère trop de pouvoir à l’exécutif. Alors que l’urgence sanitaire semble progressivement diminuer, le Pr Thirion rappelle que le laissez-passer sanitaire (covid safe ticket ou CST) demeure le quotidien des Belges.
Par ailleurs, c’est dans ce contexte que, le 2 février dernier, un décret wallon a repris et adopté la loi pandémie. De ce fait, indique N.Thirion, « on inscrit dans la durée des mesures qui portent atteinte aux libertés publiques et aux droits fondamentaux ».
Flou, arbitraire et abusif
Tout comme le Pr Thirion, l’asbl Notre Bon Droit s’inquiète de ce décret, qui va à l'encontre des droits et libertés des citoyens. Sur son site internet, l’association épingle quelques articles interpellants : l’article 18, qui donne l’autorisation aux inspecteurs de l’agence wallonne de santé (AVIQ) de pénétrer en tout lieu susceptible d’avoir été fréquenté par des personnes contaminées, ou encore de prononcer des interdictions professionnelles. L'article 19, lui, permet de décréter un état d'urgence régional, indépendamment d'une situation d'urgence épidémique décrétée par le fédéral. Et enfin, l'article 20 assortit ces mesures de sanctions pénales pour les citoyens ne s'y soumettant pas, donnant davantage de pouvoir aux tribunaux de Police.
D’autres éléments posent question dans ce décret : le flou volontairement laissé à la définition même de « maladies infectieuses » (art. 16), le pouvoir conféré à des « inspecteurs d’hygiène régionaux » mandatés en cas de pandémie qui, comme les médecins et infirmiers, auront accès et collecteront des données à caractère personnel, telles que la profession, l’indication des activités, la fréquentation de collectivités, etc.
Si la situation épidémique tend à disparaître, ces restrictions aux libertés actuelles constituent un précédent et sont désormais « légalisées » pour toute autre situation de crise sanitaire future, aux contours très flous.
Par Thérèse Leblanc, journaliste chez BAM!
[1] Consultable sur le lien https://www.parlement-wallonie.be/pwpages?p=ag-pub&cal=event&idag=24487 (n°796)
[2] https://pul.uclouvain.be/book/?gcoi=29303100815550
[3] La N-VA va saisir la Cour constitutionnelle contre la loi pandémie - La Libre
Source Photo : Adobestock ©pict rider