Sitôt créée, déjà boudée : la loi « pandémie » [1], entrée en vigueur le 4 octobre, ne pouvait être invoquée pour justifier les nouvelles mesures restrictives car les conditions d’application n’étaient pas remplies, à savoir une « situation d’urgence épidémique » telle que définie dans le texte. Sur quoi se fondent-elles, alors ?
La loi pandémie, qui encadre désormais les situations d’urgence épidémique, était loin de faire l’unanimité au sein des partis, puisqu’elle est passée en « rase-motte », avec seulement 55 % de votes « pour » (le CDH, DEFI, le PTB et le PVDA ainsi que la NVA ayant voté « contre »). Pour les avocates Audrey Despontin et Audrey Lackner, elle a, tout de même, le mérite d’exister, même si elle est perfectible.
De lege lata
Rappelons d’abord le bien-fondé de cette loi-cadre. En février 2021, une action en référé est intentée contre la ministre de l’Intérieur, portée par la Ligue des droits humains , afin « de faire constater l’illégalité des mesures liées à la crise sanitaire » et « de dénoncer l’absence de débat parlementaire depuis plus d’un an alors qu’on restreignait les libertés les plus fondamentales».
C’est dans ce contexte qu’émerge le projet de loi « pandémie », qui, souligne la Ligue des droits humains, devait permettre de rétablir les principes démocratiques en évitant « d’avoir recours à des dispositifs exceptionnels ». Votée le 15 juillet et publiée au moniteur belge le 20 août dernier, elle prévoit un garde-fou : la notion de « situation d’urgence épidémique »[4].
Nicolas Thirion, professeur de droit à l’université de Liège, insiste sur cette protection assurée par la loi : le gouvernement fédéral n’est autorisé à « prendre des mesures aussi drastiques en matière de libertés publiques qu’à la condition que la situation épidémique soit d’une gravité telle qu’elle puisse justifier de telles restrictions » .
Mesurer « l’urgence épidémique »
A. Despontin et A. Lackner expliquent que « c’est donc au Parlement, après un débat sur cette question, entouré d’experts, de décider si l’urgence sanitaire – qui s’apprécie notamment à la lumière de l’encombrement des hôpitaux – est avérée ou non. Si tel n’est pas le cas, aucune mesure restrictive ne peut être adoptée ».
Loin d’être simple, cette appréciation de l’urgence épidémique implique donc une extrême rigueur des statistiques provenant du secteur hospitalier. Le garde-fou que constitue cette notion repose ainsi, entre autres, sur la fiabilité des chiffres. Or, des biais sont possibles du fait de l’imprécision des données. Citons, à ce titre, la confusion qui existe, parfois, entre hospitalisés « avec » covid (mais pour un autre motif) et hospitalisés « pour » covid.
Les mesures illégalement prolongées
Lors de l’entrée en vigueur de la loi pandémie, le 4 octobre dernier, la situation ne répondait assurément pas à la notion d’urgence épidémique . La loi, ne pouvait, de ce fait, servir de cadre à la justification des mesures toujours en cours. Le 5 octobre, Nicolas Thirion, réagissait « puisque les situations d’urgence épidémique sont désormais gouvernées par un régime spécial, il n’est en principe plus possible au gouvernement de recourir au régime général prévu pour la sécurité civile, quand bien même les conditions prévues par la loi de 2021 ne seraient pas réunies. ».
C’est dans cette même logique que, le 8 octobre, la Ligue des droits humains affirmait « On ne peut laisser au gouvernement la possibilité de choisir entre deux fondements - l’un plus restrictif, l’autre plus permissif - pour adopter les mêmes mesures. » . Un détail ? Non, une vraie question juridique qui interroge les fondements démocratiques et la légalité de mesures qui continuaient à être justifiées par des arrêtés ministériels (pris sur base de la loi de 2007 sur la sécurité civile) .
Tour de passe-passe juridique
Et ce n’est pas fini ! L’extension récente du laisser-passer sanitaire (le Covid safe ticket adopté par ordonnance en Région bruxelloise et par décret en Wallonie), a été approuvée après un débat parlementaire (respectivement par le parlement bruxellois et le parlement wallon ) bien que la mesure fût votée en dehors du cadre d’une urgence épidémique.
Ainsi, pour la Région bruxelloise, l’arrêté portant exécution de l’ordonnance , stipule clairement qu’« aucune situation d’urgence épidémique n’a été déclarée » et que l’ordonnance se fonde sur la « nécessité découlant d’une situation épidémiologique particulière ».
La notion de situation épidémiologique particulière se substitue, en termes de justificatif, à celle d’urgence épidémique mentionnée dans la loi pandémie. Or, cette notion de situation épidémiologique particulière n’existe pas dans la loi de 2007 qui sert de base juridique « de secours » aux autorités. Cet objet juridique non identifié a été complètement inventé et n’est même pas précisément défini !
Bref, les autorités belges se sont affranchies de tout fondement juridique malgré le vernis d’un accord inter-institutionnel complexe. Pour toutes ces raisons, il est légitime de se poser la question de la légalité des mesures actuelles, aucunement justifiées par une urgence épidémique.
Marley R., journaliste citoyenne à BAM!
« la loi telle qu’elle existe »
Connue sous l’appellation de loi « pandémie » ( https://www.rtbf.be/info/dossier/epidemie-de-coronavirus/detail_coronavirus-en-belgique-la-loi-pandemie-publiee-au-moniteur?id=10826962), il s’agit la Loi du 14 août relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, publication au moniteur belge, 20 août 2021 numac 2021021663. Site moniteur belge http://www.ejustice.just.fgov.be
https://www.liguedh.be/pandemie-le-gouvernement-se-met-hors-la-loi/
In moniteur belge Loi du 14 août relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, publication au moniteur belge, 20 août 2021 -Site moniteur belge http://www.ejustice.just.fgov.be
3° "situation d'urgence épidémique": tout événement qui entraîne ou qui est susceptible d'entraîner une menace grave suite à la présence d'un agent infectieux chez l'homme, et:
a. qui touche ou est susceptible de toucher un grand nombre de personnes en Belgique et qui y affecte ou est susceptible d'affecter gravement leur santé;
b. et qui conduit ou est susceptible de conduire à une ou plusieurs des conséquences suivantes en Belgique:
- une surcharge grave de certains professionnels des soins et services de santé;
- la nécessité de prévoir le renforcement, l'allégement ou le soutien de certains professionnels des soins et services de santé;
- le déploiement rapide et massif de médicaments, dispositifs médicaux ou équipements de protection individuelle;
c. et qui nécessite une coordination et une gestion des acteurs compétents au niveau national afin de faire disparaître la menace ou de limiter les conséquences néfastes de l'événement;
d. qui, le cas échéant, a conduit à une ou plusieurs des conséquences suivantes:
- la situation est reconnue par l'Organisation mondiale de la santé comme "Public Health Emergency of International Concern";
- la situation est reconnue par la Commission européenne conformément aux dispositions de l'article 12 de la décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative aux menaces transfrontières graves sur la santé et abrogeant la Décision n° 2119/98/CE.
Cette question de données parfois trop partielles est abordée dans un article récent de la RTBF concernant le statut vaccinal des personnes hospitalisées https://www.rtbf.be/info/societe/detail_covid-19-le-statut-vaccinal-des-personnes-hospitalisees-et-les-cles-pour-comprendre?id=10863987
https://www.liguedh.be/pandemie-le-gouvernement-se-met-hors-la-loi/
Développé in https://www.liguedh.be/pandemie-le-gouvernement-se-met-hors-la-loi/
Ordonnance relative à l'extension du COVID Safe Ticket en cas de nécessité découlant d'une situation épidémiologique particulière publiée au Moniteur belge le 14 OCTOBRE 2021. Numac : 202102225 Site moniteur belge http://www.ejustice.just.fgov.be
Débat au parlement bruxellois consultable in https://www.md-universal.eu/images/images.pdf,
Détails passage au parlement wallon in
https://www.md-universal.eu/images/695_1.pdf
Arrêté du Collège réuni de la Commission communautaire commune portant exécution de l'ordonnance du 14 octobre 2021 relative à l'extension du COVID Safe Ticket en cas de nécessité découlant d'une situation épidémiologique particulière publié au moniteur belge le 15 OCTOBRE 2021.Numac 2021022263 Site moniteur belge http://www.ejustice.just.fgov.be
« Vu l'ordonnance du 14 octobre 2021 relative à l'extension du COVID Safe Ticket en cas de nécessité découlant d'une situation épidémiologique particulière ;
Vu qu'aucune situation d'urgence épidémique n'a été déclarée conformément à l'article 3, § 1 de la loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d'une situation d'urgence épidémique ; »
Source photo :
https://www.flickr.com/photos/mark6mauno/2125882689
"La main (Les remords de conscience), The Hand [Remorse])," by Salvador Dali
CC-BY-NC