Le 30 mars 2020, il y a tout juste trois ans, la petite Rachel devenait le premier enfant belge à être victime du Covid-19. Officiellement.
Les allées du petit cimetière de Ledeberg, à l’Est de Gand, sont entièrement recouvertes d’une pelouse un peu sauvage. Les tombes semblent disséminées au hasard sur ce tapis vert. Il faut musarder pour trouver la tombe de Rachel, discrètement fleurie. La photo posée sur le marbre révèle un visage poupin, souriant.
A trois minutes de là, à vol d’âme, s’élève un grand immeuble de verre et de béton. Un des deux ascenseurs est en panne depuis longtemps. L’appartement où vivait Rachel est exigu, un canapé en skaï élimé fait face à un écran plat imposant, câblé sur une chaîne ghanéenne. La télévision retransmet les funérailles de l’international Christian Atsu, une star du football retrouvée sans vie sous les décombres après le séisme en Turquie.
Mais c’est une autre disparition qui nous amène ici. Trois ans après la mort tragique de Rachel, ses parents se souviennent des derniers moments de leur fille cadette.
Ce vendredi-là, Rachel ne se sent pas bien. Prévenu par ses parents, le centre médical du quartier estime que l’enfant n’est pas suffisamment malade pour la prendre en charge. Il faut se remettre dans le contexte : en mars 2020, les généralistes avaient pour consigne de ne pas recevoir leurs patients, de peur que le virus Sars-Cov2 se propage.
La fillette va mieux durant le week-end, mais dans la nuit du dimanche au lundi, le père la trouve à 4 heures du matin dans le canapé, en sueurs. Elle est fiévreuse mais ne tousse pas. Il pense qu’elle doit d’abord manger un peu avant de prendre un médicament. Elle avale un yaourt, puis un cachet d’1 gramme de paracétamol, une dose réservée aux adultes.
Rachel partage ensuite un bol de thé avec sa mère et s’endort dans le même lit. Vers 7 heures du matin, la fillette est fébrile, à bout de souffle.
La maison médicale contactée en urgence propose un rendez-vous à 10h00, mais l’état de la fillette se dégrade rapidement. Le père décide d’appeler une ambulance. Il ne s’exprime qu’en anglais, et le préposé du 101 ne le comprend pas. Le père s’énerve et articule le plus clairement possible : « My kid very sick ! ». Impuissant, il n’obtiendra pas de secours et fait appel à un voisin, quelques étages plus haut, qui possède une voiture. La fillette est inerte. Le père constate que son cœur a cessé de battre, mais il espère un miracle. Il porte sa fille jusqu’à la voiture. Le corps inanimé de Rachel est amené vers l’UZ Gent, l’hôpital universitaire de Gand, où on tente de la réanimer, en vain.
La mère de Rachel se souvient : « Nous avons annoncé la triste nouvelle aux sœurs de Rachel, aux proches de la famille, puis averti l’école. Des dizaines de personnes nous ont rendu visite pour témoigner leur sympathie. Nous étions très entourés. Dès le lendemain, plus personne n’est venu ».
Et pour cause. Le lendemain en effet, l’UZ Gent a communiqué son diagnostic : Rachel est morte du Covid-19. La nouvelle sème l’effroi dans une Belgique obsédée, jusqu’à l’hystérie, par la propagation du virus. Le père de Rachel, lui, n’y croit pas. Aucun autre membre de la famille n’a eu le moindre symptôme, ni avant ni après le décès de Rachel. La maman, qui a partagé son lit avec sa fille et bu dans le même verre, ne sera nullement affectée. Dans l’immeuble où des dizaines de familles s’entassent, il n’y aura aucun cas de Covid durant la première vague, si l’on en croit la famille.
Le diagnostic post-mortem de l’hôpital est du pain béni pour les autorités sanitaires. En conférence de presse, des trémolos dans la voix, le porte-parole de la lutte contre le coronavirus annonce le décès d’une enfant de 12 ans des suites du Covid-19. « C’est un événement rare mais qui nous bouleverse ». Avant de faire cette annonce, Emmanuel André, médecin de formation, s’est-il assuré qu’aucune autre cause ne pouvait expliquer le décès ? A-t-il exclu une allergie, une réaction au paracétamol ? A-t-il seulement lu le protocole de l’hôpital ? La famille de Rachel, dans la confusion qui a suivi le départ de leur fille, a égaré ce document qui aurait pu nous éclairer.
Quatre mois plus tard, le décès d’une autre petite fille, âgée de 3 ans, fut lui aussi attribué au coronavirus par les autorités sanitaires, aussitôt relayées par la presse qui en fera ses gros titres, malgré le démenti du père de la gamine. Elle était née avec une maladie dégénérative et vivait ses derniers jours au Cliniques Universitaires St Luc lorsqu’elle fut testée positive. Pourquoi pratiquer un test PCR sur une enfant en fin de vie ?
Deux petites victimes, héroïnes malgré elles d’une série télé écrite sous le signe de la peur. Les scénaristes planchaient sans doute déjà sur le dernier épisode, l’heureux dénouement : la vaccination des enfants.
Dans le petit appartement de Gand, le souvenir de la petite Rachel est partout. Son sourire s’affiche aux côtés des portraits de ses sœurs. La maman, inconsolable, garde dans son téléphone les dernières images de sa fille cadette. Profondément croyant, les mains et les yeux tournés vers le ciel, son père a fait le deuil : «Je l’ai confiée à Dieu ».
Bernard Crutzen, réalisateur.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles de BAM!
Photo Bernard Crutzen