Le manque de transparence de la Commission européenne lors de l'achat de 4,2 milliards de doses de vaccins Covid a suscité l'indignation de plusieurs députés européens. Ceux-ci ont exigé des éclaircissements. En vain.
Opacité des négociations
Le manque de transparence dans la procédure d'achat des vaccins Covid par la Commission européenne a soulevé de nombreuses critiques. Les textos échangés entre la présidente de la Commission Ursula von der Leyen et le PDG de Pfizer Albert Bourla ont attisé les soupçons. La Commission a refusé de les divulguer, affirmant qu'ils n'étaient pas de nature professionnels. Néanmoins, la médiatrice européenne a désavoué la Commission, affirmant que les messages faisaient partie de la négociation en cours et n'étaient donc pas couverts par le droit à la vie privée, dénonçant ainsi un cas de "mauvaise administration"[1]. La Commission a ensuite changé de position et déclaré que les messages n'avaient pas été enregistrés…
Notons qu'Ursula von der Leyen avait déjà été soupçonnée alors qu’elle était ministre de la défense dans le gouvernement allemand. Les interrogations portaient sur le flou entourant les conditions d'attribution des contrats en matière d’appels d’offres et sur la réelle nécessité de recourir à des sociétés externes. Alors que la commission d'enquête avait demandé à y accéder, tous les messages que contenaient son téléphone portable de service ont été supprimés…[2]
Non-respect des procédures
Selon le rapport de la Cour des comptes[3], l'opacité a entouré la signature du contrat pour l'achat de doses de vaccins contre la Covid-19, ce qui a suscité des inquiétudes quant au respect des règles. Les auteurs du rapport déplorent le manque d'informations fournies sur les négociations préliminaires pour le contrat de mars 2021 avec Pfizer-BioNTech, qui était le plus important contrat de l'Union européenne. Ils soulignent également que contrairement à la décision de la Commission relative à l'acquisition de vaccins contre la Covid-19, l'équipe conjointe de négociation n'a pas participé à cette étape des négociations. La Cour des comptes a demandé à la Commission de fournir des informations sur les négociations préliminaires. Cependant, la requête est restée sans réponse.
Contrats caviardés
Pendant plusieurs mois, la Commission a refusé de publier les contrats. Sous pression, elle finit par céder et les publie au compte-gouttes. Ce qu’on y trouve ne va pas calmer les soupçons. Ceux-ci sont systématiquement caviardés. De nombreuses informations importantes sont donc illisibles, entre autres:
- le prix des doses,
- les avances payées par la Commission européenne,
- la propriété intellectuelle,
- la responsabilité en cas d'effets secondaires,
- l’indemnisation du laboratoire par les Etats,
- les clauses sur la livraison et les sanctions.
Responsabilité des Etats
Une clause particulière stipule que les Etats membres doivent indemniser les producteurs pour tous les frais encourus lors d'éventuels litiges, y compris les dommages-intérêts, les frais de justice et les honoraires d'avocats. Cette clause a été confirmée par la Commission européenne, mais sa formulation précise a été masquée dans les documents officiels.
Il devient donc difficile aux Etats d’assurer la transparence des données relatives aux vaccins tout en assumant les conséquences. Les Etats pourraient être tentés de minimiser les effets indésirables afin d’en éviter la responsabilité.
Pfizer garde ses entrées au Parlement européen
Prié par deux fois de venir s'expliquer au Parlement européen, le PDG de Pfizer Albert Bourla avait systématiquement décliné l’invitation. Lassée par le manque de coopération de M. Bourla, le 11 janvier, la commission COVI avait alors approuvé la proposition du groupe des Verts visant à interdire l'accès du Parlement européen aux représentants de Pfizer, à l’instar de Monsanto en 2017[4].
On attendait la décision de la Conférence des présidents des groupes politiques (CoP). Elle a finalement rendu son verdict : les représentants de Pfizer pourront continuer à se rendre dans les locaux du Parlement européen.
Même si la sanction proposée par la commission COVI était symbolique, puisqu’elle n’empêchait pas les lobbyistes de Pfizer de rencontrer les parlementaires en dehors du Parlement, la décision de la CoP ressemble fort à un désir de ménager Pfizer et la Commission en sapant l’autorité du Parlement.
Ursula von der Leyen dispensée de commission COVI
Second camouflet, les députés de la commission COVI avaient également souhaité inviter Mme von der Leyen à venir s’exprimer devant eux au sujet des textos échangés avec M. Bourla. La CoP a finalement décidé d’inviter la présidente de la Commission européenne à s’exprimer à huis clos devant les présidents de groupes, privant ainsi la commission COVI de jouer son rôle d’enquête.
Rappelons que sur les 4,2 milliards de doses achetées via la Commission, seules 750 millions ont été utilisées[5]. Les Européens se retrouvent donc avec un surplus de 3,45 milliards de doses périmées. Du reste, on peut se demander comment les laboratoires pharmaceutiques sont parvenus à vendre plus de neuf doses par habitant d’un vaccin censé être efficace à 97%...[6]
Une tournure très différente outre-atlantique
Alors que l’impunité et l’opacité règnent dans les instances du vieux continent, les Etats-Unis font preuve de plus de rigueur et d’autorité.
Lorsque Bill Gates[7] ou Mark Zuckerberg[8] sont convoqués au Sénat ou au Congrès, il n’est pas question de refuser. Ceux-ci sont priés de répondre sous serment aux questions sans concession des représentants élus.
Plus récemment, lors de l’audition de Vijaya Gadde dans le cadre des Twitters Files, la député Nancy Mace n’a pas hésité à demander ironiquement à l’ancienne directrice juridique de Twitter où elle avait fait ses études de médecine pour s'approprier le droit de censurer les propos du Dr. Bhattacharya[9], professeur de médecine à l’université de Stanford, ou les chiffres officiels du CDC…
Rep. Mace Speaks at Oversight Hearing on Twitter Censorship
Lors de l'audience de la commission des relations étrangères du Sénat, le sénateur Rand Paul a interrogé sans ménagement la sous-secrétaire d'État américaine Wendy Sherman sur les origines de la pandémie de Covid-19.
JUST IN: Rand Paul Directly Confronts Top Biden Official On Funding Virus Studies In China
On notera également qu’après avoir révélé en avril 2021 l’affaire des SMS entre la présidente de la Commission et le PDG de Pfizer, le New York Times a déposé une requête auprès de la Cour de justice des Communautés européennes[10]. A l’exception du journal allemand Bild, aucun journal européen n’a eu l’audace d’exiger le contenu des messages.
Un Parlement incapable d’assumer son rôle
Dans un Etat de droit, l’exécutif doit, entre autres, être contrôlé par un parlement représentant les citoyens. L'exécutif doit donc se soumettre aux règles des institutions et aux missions d’enquête du Parlement.
Mais comme le faisait remarquer Valéry Giscard d’Estaing : “Le PE n’est pas très important (…) son rôle est simplement de vérifier que les textes proposés par la Commission sont conformes aux traités c’est tout. Il n’y a pas de pouvoir politique (…).”
Paroles d'européistes | Le parlement européen n'a pas de pouvoir !
L’ancien président français a probablement confondu la constitution qu’il avait coécrite en tant que président de la Convention européenne et les traités européens finalement ratifiés, puisque ce n’est pas le Parlement qui veille à la bonne application des traités mais bien la Commission.
En 2007, le Parlement européen devient co-législateur dans 85 domaines de compétences. Dans ces domaines, pour qu’un texte soit adopté, le Parlement et le Conseil de l’UE doivent s’accorder. Plusieurs compétences, comme la concurrence ou les affaires étrangères, échappent au Parlement. Enfin, en amendant les textes proposés par la Commission, le Parlement dégage le soutien politique nécessaire à l’adoption d’une directive, d’un règlement et surtout du budget européen.
Quoiqu'il en soit, Giscard n’est peut-être pas si loin de la réalité. Coincé entre un Conseil et une Commission omnipotents, le Parlement a manifestement les plus grandes difficultés à asseoir une autorité pourtant indispensable à l'équilibre des pouvoirs au sein des institutions.
Que le PDG de Pfizer défende les intérêts de son entreprise n’a rien d'étonnant, c’est son rôle. Mais que l’UE soit incapable de défendre l’intérêt public en toute transparence pose question. Il me semble qu’un des enjeux de l’UE était justement d’avoir plus de poids face aux multinationales.
Le jeu de l’extrême droite?
Ce n’est un mystère pour personne, l'euroscepticisme progresse. Sur 705 sièges du Parlement européen les partis eurosceptiques en occupent désormais 172, contre 155 en 2014[11]. La politique énergétique européenne, qui a coûté très cher à beaucoup d’Européens, ne risque pas d’arranger la situation.
Dans ce contexte, on comprend que pour protéger les institutions, certains soient tentés de couvrir les dysfonctionnements de la Commission alors que d’autres estiment que seule la transparence permettra de rétablir la confiance. Et il n'est pas rare d’entendre que les tenants de la transparence feraient le jeu de l’extrême droite…
Mais ne nous trompons pas, les vrais responsables du désamour croissant pour les institutions européennes se trouvent au sein de celles-ci. Ce ne sont pas les discours “populistes” des partis eurosceptiques mais bien l’impunité de comportements inacceptables qui finiront par leur donner raison.
Marcan pour BAM!
[1] La Médiatrice critique la manière dont la demande d’accès aux textos de la présidente de la Commission européenne a été traitée | Communiqué de presse
[2] Ursula von der Leyen au coeur des soupçons dans l'affaire des consultants du ministère de la Défense | Euronews
[3] https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR22_19/SR_EU_COVID_vaccine_procurement_FR.pdf page 33
[4] Monsanto banni du Parlement européen | Euronews
[5] L’Europe a-t-elle acheté 4 milliards de doses de vaccin pour faire face aux nouvelles vagues ? – Libération
[6] Coronavirus : le vaccin Pfizer efficace à 97% contre les cas symptomatiques - rtbf.be
[7] USA: MICROSOFT BOSS QUESTIONED AT SENATE COMMITTEE HEARING (2)
[8] Mark Zuckerberg testifies before Congress - watch live
[9] Jayanta Bhattacharya
[10] Covid-19 : le New York Times poursuit Ursula von der Leyen pour des échanges SMS avec le patron de Pfizer - La Libre
[11] Elections européennes 2019 : la progression des partis eurosceptiques en carte
Source photo : BAM!